sabine.vaillant PAZ ERRÁZURIZ
« J’étais très intéressée par l’histoire de la prostitution au Chili. Je voulais en savoir plus sur les femmes, je voulais en savoir plus sur moi-même, je voulais savoir beaucoup de choses. »
La Maison de l’Amérique latine, ouvre sa saison artistique avec Paz Errázuriz, grande photographe chilienne, pour une exceptionnelle et première rétrospective parisienne Histoires inachevées.
120 tirages issus de 15 séries dont trois inédites : Próceres – 1983, Sepur Zarco – 2016 et Ñuble -2019 ainsi que la série emblématique La Manzana de Adán 1982 – 1987.
L’œuvre de cette artiste née en 1944 à Santiago du Chili, s’inscrit dans le contexte brutal, sombre de la dictature du général Pinochet du 11 septembre 1973 au 11 mars 1990. Dans un pays plongé dans le chaos, fracturé par la politique répressive, l’accroissement de la pauvreté des plus fragiles.
C’est là que commence sa carrière artistique en autodidacte qu’elle perfectionnera à l’International Center of Photography de New-York en 1993.
Parcourant son pays du nord au sud jusqu’en Patagonie, son regard capte la réalité du Chili. Raconte, au travers de ses portraits noir et blanc d’une grande beauté formelle, des diktats sociaux, l’invisibilité de certains groupes, la condition humaine et dérangent les conventions de représentations visuelles. Elle fait naître à la lumière ceux que la société regarde différemment en s’attachant à leurs histoires individuelles ou collectives.
C’est ainsi que s’ouvre Histoires inachevées sur l’impressionnante et bouleversante série de portraits en noir et blanc des femmes autochtones vivant près de Sepur Zarco au Guatemala, déposés, avec respect et empathie par Paz Errázuriz, sur l’orange du mur. Durant le conflit armé guatémaltèques, elles ont été violées et réduites en esclavage par les militaires.
Quinze survivantes se sont battus et ont obtenu justice lors du procès de 2016. Deux anciens officiers ont été condamnés pour crime contre l’humanité. Dix-huit mesures de réparation en faveur des victimes et de leurs communautés ont été adoptées.
Au rez de chaussé Los Dormidos, photographiés au plus fort de la dictature 1979 -1980, en plein sommeil, affalés sur des planches ou un banc, parfois sur le point de tomber, aimantent le regard.
Puis l’artiste fait entrer le visiteur dans l’univers de La Manzana de Adán avec Evelyn, Pylar et leur mère. Avec lesquels, elle noue une relation de confiance, lui ouvrant la communauté LGBTQIA +, persécutée par le régime, dans la simplicité de leur quotidien et la volonté d’exister.
Plus loin, Próceres dévoile après bien des années la face moins grandiose des Héros de la nation, avec les photos de leurs sculptures abîmés symbolisant la chute des forces armées.
Ñuble portraits autorisés de jeunes femmes emprisonnées à Chillán aux parcours de vie semés d’embûches. Souligne la reconnaissance officielle de l’engagement de Paz Errázuriz auprès des populations invisibilisées et précaires.
Avec El Circo, sa première série réalisée lors de la découverte avec ses enfants des petits cirques modestes de la périphérie de Santiago, elle saisit l’exceptionnel de ses vies en partageant leurs vies de nomades.
Un Cierto tiempo – 1986 – 1990 saisit l’empreinte du temps et ses variations avec l’adolescence et son passage rapide à l’âge adulte grâce aux portraits mensuels de Tomás, son fils.
Que ce soit avec les lutteurs avec qui elle sillonne en bus le nord du Chili, les aliénés sur lesquels son regard concentre relations amoureuses, pulsion érotique, étreinte des corps échappant ainsi à l’imagerie classique des aliénés. Ou encore les derniers survivants de l’ethnie Kawésqar, et sa série Mode américaine illustrant le trafic de vêtements d’occasion en provenance des États-Unis, mais aussi sa découverte d’une maison de passe à la frontière du Pérou où elle utilise le numérique et la couleur, Paz Errázuriz arpente sa soif de connaître les autres, de voir de ses propres yeux la réalité de son pays. Construisant sa propre forme de résistance au régime de Pinochet.
Les histoires, les vies photographiées de cette immense photographe, cofondatrice de l’association des photographes indépendants (AFI) en 1981, restent « inachevées » ne parvenant pas à les clore de peur que disparaissent les personnes rencontrées.
A l’orée de l’automne l’œuvre dense et unique de Paz Errázuriz, loin d’un photoréalisme journalistique mais dans une tentative de subversion des conventions de l’ordre visuel et de ses valeurs traditionnelles, éclaire la force de la condition humaine dans un monde répressif.
PAZ ERRÃZURIZ Histoires inachevées (Historias inconclusas) A découvrir à La Maison de l’Amérique latine jusqu’au 20 décembre 2023.
Prolongation jusqu’au 24 janvier 2024.
Sabine Vaillant
Couleur Bulle
- PAZ ERRÃZURIZ
Histoires inachevées (Historias inconclusas)
8 septembre au 24 janvier 2024
Commissariat : Béatrice Andrieux
- Maison de l’Amérique latine
217, Bd Saint-Germain
75007 Paris
Tel : 01 49 54 75 00
Lundi au vendredi 10 h-20h
Samedi 14h-18h
Fermé les dimanches, jours fériés
Fermeture annuelle du 23 décembre 2023 au 02 janvier 2024.
Entrée libre
- Première monographie en français à paraître chez Atelier EXB; 160 pages.
Textes : Introduction générale de Béatrice Andrieux, commissaire de l’xposition. Entretien Paz Errázuriz – Béatrice Andrieux. Texte de Marie Pernnès, commissaire d’exposition. Avec le soutien de Kering I Women in Motion.
- Un film de 8 min avec Paz Errázuriz chez elle à Santiago, réalisé en octobre 2022 par Béatrice Andrieux et produit par Sebastián Mejia, montré pour la première fois.
